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Quand il ne se passe rien
Quand il ne se passe rien

Quand il ne se passe rien

Quand il ne se passe rien

Une bonne partie de la vie des bipèdes de notre espèce est « dictée » par les nécessités du moment : il faut aller en cours, ou au travail. Il faut nourrir les enfants, leur donner le bain, les coucher. Il faut faire les réservations pour les vacances, parce qu’on sait que si on tarde trop, il n’y aura plus de billets à prix intéressant.

Certaines de ces « nécessités du moment », on les a choisies de notre propre chef : c’est l’heure d’aller à l’escrime, c’est l’heure de partir retrouver les amis au parc, au cinéma, au bar, aujourd’hui, on va faire une randonnée, donc on va prendre la voiture, etc.

Une part énorme de ce qu’on fait est amenée par nos besoins (il faut faire les courses pour pouvoir faire le dîner), nos relations, nos choix : on est « sur des rails ».

Mais il arrive que des situations ne nous donnent aucune indication sur ce qu’il convient de faire, ou comment il convient de réagir.

Mettons… Notre commerce ne marche pas bien et on n’a aucune idée de pourquoi. Un ami ne nous répond plus depuis des mois, et nous n’avons pas d’explication alors qu’il n’y a pas eu de dispute. Un problème de santé nous colle aux basques alors que les médecins ne trouvent rien aux examens. On ne trouve pas d’employeur qui veuille nous prendre en stage, en alternance, ou tout simplement en CDI. Ou bien quelqu’un se agit de manière relativement odieuse avec nous, et on ne comprend juste pas d’où sort un tel comportement…

Le blanc. Pas de « guidage ». Pas d’indices. Pas d’intuition. Pas de petit coup de coude de la part de la vie « hey, pssst », pas de voix GPS qui nous dit « tournez à gauche à 300 mètres ». Il ne se passe… Rien. On ne sait pas comment lire la situation, et on ne sait pas ce qu’il conviendrait de faire.

Ce moments, dans ma vie, ont été ceux que j’ai le plus détesté dans le passé, parce qu’ils appuyaient sur toutes mes cordes sensibles. Si on a tendance à l’hyper-responsabilité, on va penser que c’est de notre faute (et quasiment inventer des raisons de nous accuser). Si on est plutôt du genre à faire des scénarios-catastrophes, on va se faire endurer l’angoisse de la pire hypothèse : ton ami a arrêté de te parler parce que soudainement il te déteste, les employeurs rejettent ton CV parce que tes expériences sont insignifiantes, ton problème de santé vient forcément de quelque chose que tu as mal fait (mal mangé ? Mal fait du sport ?), tout y passe.

Les « blancs », les « vides » sont d’énormes Déclencheurs à N’importe Quoi™ tant que l’on n’est pas conscient.e de ce mécanisme ou qu’on croit (de bonne foi !) qu’il s’impose à nous, que l’ont ne peut rien faire pour être moins bousculé.e.

Personnellement, mon niveau d’anxiété pouvait atteindre des niveaux tels de Ridicule Stratosphérique (™ aussi) qu’à un moment, je me suis dit « ce n’est pas possible, ce n’est pas la bonne approche. Si tout le monde n’angoisse pas autant que moi, il doit y avoir une autre manière de vivre ça ».

Ma coach a été un des éléments les plus aidants, en me faisant opiniâtrement comprendre que l’on n’est pas obligé.e de peupler l’inconnu et l’incertitude de monstres. Mon monstre le plus récurrent, c’était « cet évènement/la réaction de cette personne signifie que je suis X, Y, Z » (trop nulle, trop faible, trop excentrique, trop paumée, ce que vous voulez). Et à chaque fois, cette « hypothèse » se basait sur une de mes cordes sensibles, souvent le manque de sentiment de ma propre valeur, ou la confiance en mon propre discernement.

Puis, avec du travail, je suis passée à l’étape 2 : j’étais toujours « déclenchée » (traduction du terme anglais « triggered » qui exprime que quelque chose appuie sur une corde sensible) par les moments de « blanc », où, en somme, c’était moi qui décidais de la signification que j’allais donner à la situation pour pouvoir la naviguer, MAIS je me « prenais sur le fait », et je m’abstenais de penser négativement, de produire moi-même des significations, qui allaient être immanquablement toxiques et à côté de la plaque. Mais à ce stade, même si les pensées étaient globalement maîtrisées, les émotions, elles, étaient toujours là, et je n’avais pas la main dessus.

Maintenant, j’en suis à l’étape 3 : quand je suis déclenchée, je n’aime toujours pas ça (vous ne trouverez jamais ça agréable, c’est foutu), mais je sais que c’est l’occasion pour mon corps, mon système nerveux, et toutes ces parties inconscientes de lâcher les tensions, les fameuses « cordes sensibles » sur laquelle la vie appuie. Donc quand l’épreuve arrive, je ne me raidis plus comme un légionnaire romain derrière un mur de boucliers prêt à essuyer la charge féroce des gaulois du village d’Astérix : j’ai appris à accueillir les émotions.

Au début, on ne fait qu’accueillir : on ressent tout le caca qu’il y a à ressentir, on n’aime pas ça, mais on se donne « intellectuellement » le droit d’être en miettes. Et c’est déjà énorme, et beaucoup d’humains adultes, ayant le droit de vote et le permis de conduire ne font absolument pas ça, et se contentent d’exploser sur autrui quand ils sont chamboulés émotionnellement. Donc si vous n’en êtes « que » à cette étape, donnez-vous un énorme bon point, vous êtes plus loin que la plupart des gens. Si, si, faites-moi confiance.

Puis, à un moment ineffable, on « chope le coup » de main : soudain, on sent qu’on est capable de créer un container, un récipient où on ressent les émotions, mais on ne se sent plus confondu.e avec elles. On n’est plus « chaviré.e » par elles. On est le récipient, comme une boule à neige. Et la neige vole à l’intérieur, mais nous, on reste stable.

Yahou, on est à l’étape 4 !

On ne devient pas « insensible », einh, vous m’avez bien suivie ? Si vous voulez ne plus ressentir d’émotions, ça n’existe pas, et ça n’arrivera pas.

Mais à force de développer cette capacité à prêter une attention minutieuse à nos émotions (sans générer de la pensée négative, vous me suivez ? Le mental et les émotions ne sont pas la même chose), à les ressentir avec le corps, sans chercher à les étouffer ou les atténuer, on devient une sorte de « paratonnerre » qui guide la foudre et la met à la terre sans incendier tout le bâtiment. Elle passe, sans faire de dégâts.

Et puis à un moment, il se passe une chose incroyable, que j’ai ressenti pour la première fois seulement il y a peu de temps (j’ai 38 ans…) : on sent qu’on est de moins en moins déclenché.e par des choses qui, il y a encore deux semaines, nous faisaient ressentir les pires tortures. Ça m’est arrivé ce matin en me faisant disputer assez vertement par un internaute qui voulait absolument avoir raison et qui montait dans les tours sans que je puisse comprendre pourquoi diable il s’énervait comme ça.

« Avant », tout mon corps aurait baigné dans une sensation de danger imminent, qui m’aurait amenée soit à fuir, soit à « faire le faon » (essayer de disparaître dans les hautes herbes avec mon pelage camouflage, afin qu’on ne me remarque plus), soit à me courber pour avoir la paix, soit à répondre sur le même ton, façon combat de coqs. Génial…

Eh bien ce matin, alors que le ton de l’internaute en question devenait franchement acerbe, j’ai ressenti une montée d’insécurité qui… s’est arrêtée à un niveau tout à fait gérable, et mon corps m’a quasiment « parlé dans mon oreillette » pour me dire (par voie de sensations et de sentiments) « c’est juste un zozo qui veut avoir raison, la manière dont il te parle ne reflète absolument pas ta pertinence, tes connaissances ou ta valeur. Si tu veux arrêter de lui parler parce que ça ne mène à rien, aucun souci, mais on peut aussi lui dire qu’il est trop agressif. Dans les deux cas, je te couvre. Il me fait pas peur, le gars ».

WAH. Imaginez Jarvis (l’ordinateur d’Iron Man) qui lui dirait « menace de faible dangerosité, on peut l’avoir en lui lançant une pomme de pin ».

Plus on apprend à devenir un paratonerre, moins on est déstabilisé par ce qui nous entoure. On a une évaluation beaucoup plus fine du danger et de l’importance des choses, ainsi que de notre responsabilité vis à vis de ce qui se passe : de plus en plus, au lieu de prendre part à l’intensité ambiance, on évalue juste qu’il n’y a rien à faire.

Ces « moments de blanc » de ma vie, qui ont amené le très nécessaire travail que je viens de décrire, maintenant, je les aborde avec curiosité. Je sais que vraisemblablement, un squelette ou un autre va avoir envie de sortir de son placard émotionnel, et que je vais passer un moment peu agréable. Mais j’y ai gagné un sentiment de force incroyable.

Quand on voit qu’on peut ressentir ses émotions sans les laisser nous mener par le bout du nez, et quand on voit qu’on peut même se dé-sensibiliser pour avoir une appréciation de la vie plus lucide, plus fine, plus juste et plus proportionnée, on prend confiance en soi. On ne se dit plus « je me ferai confiance quand j’aurai des preuves tangibles de succès ». On sait que rester lucide, ouvert.e, calme et mesuré dans l’incertitude c’est le succès, ou c’est comme ça qu’on le bâtit.