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Trop connecté.e ?
Trop connecté.e ?

Trop connecté.e ?

Trop connecté.e ?

Ma génération est la dernière à n’avoir pas grandi avec internet. Je me rappelle le grésillement du modem 56ko, les forfaits limités, le fait qu’on tapait nos mails sur un document Word (ou Open Office) et qu’on ne se connectait qu’au dernier moment, pour les copier dans la messagerie et les envoyer tout de suite. Ce que j’ai gardé de cette époque, c’est qu’on pouvait prendre son temps. On était tout simplement maître du temps qu’on passait sur internet. On pouvait à la fois se faire des amis n’importe où en France -merveille- et le faire à son rythme, avec des mails longs, qui seraient lus jusqu’à la dernière syllabe, comme une lettre qui arriverait simplement plus vite. D’ailleurs, on s’envoyait aussi des lettres !

Il n’y avait pas besoin « d’urgence » ou de notifications pour aller vérifier sa boîte mail : l’amie ou l’ami en question le faisait simplement parce qu’elle ou il allait avoir le plaisir de trouver mon message et de partager ce que nous avions à partager. Les rapports sur internet étaient comme un carré de chocolat dûment savouré, à petite dose, avec un attachement sécure à la personne et au média qui nous permettait de lui parler.

Aujourd’hui, nous sommes largement « diabétiques » de l’internet, plus capables de réguler notre sucre sanguin. Notre attention est diluée (et les profs en pâtissent chaque jour, même avec des enfants très jeunes) et on se fait facilement « emporter dans un tunnel de réseaux sociaux » même quand ce n’est pas notre intention. Par-dessus tout, ce qui moi m’affecte le plus, c’est la sensation d’urgence, qui me frit les neurones.

Quand j’étais en terminale (toujours cette même année où l’internet est arrivé dans mon foyer, en 2001), j’avais des capacités de synthèse en or. Je me rappelle mes épreuves du bac, où j’avais à peine besoin d’un brouillon pour agencer mes idées avant de les mettre par écrit : j’accédais facilement à tous les morceaux de ma réflexion, et ils se mettaient en ordre presque par sensation, parce que la connexion entre les différentes parties se faisaient sentir aussi nettement que les contours des pièces d’un puzzle. Sans surprise, j’ai perdu cela. Mon « monde intérieur » étant sans cesse tiraillé par des milliers d’informations qui m’influencent, j’ai perdu une bonne partie de ma capacité à me « regrouper ».

Ce qui a changé ?

Notre « monde intérieur » est comme une bulle autour de nous. Loin de nous couper d’autrui, elle a l’effet contraire : elle est un matelas, un tampon qui adoucit les contrariétés, nous permet de prendre du recul, de nous sentir fort.e et donc de nous relier plus facilement à autrui, construisant des ponts au-dessus des différences, car ce monde à soi est inébranlable, donc on se sent beaucoup moins menacé. Les différences sont des sujets d’intérêt, pas des clivages qui nous séparent.

Avec l’hyperconnexion, cette bulle est devenue poreuse : on ne choisit plus ce qui y rentre. Les mécanismes des algorithmes sont faits pour nous faire rester devant l’écran : une fois qu’on est devant, on a moins de facilité à fermer l’onglet ou quitter tout simplement l’ordinateur. Poser un journal, c’était facile, car notre « bulle » est bien plus forte face à un objet finalement inerte. L’internet, c’est différent.

Alors, que faire ?

Notre monde intérieur s’épanouit dans le lent, dans un état d’esprit détendu où l’on a cette « page blanche » où les petits détails peuvent apparaître sans être noyés dans le bruit : le filet de vent sur notre visage alors qu’on rentre chez soi, le chant de la mésange sur l’arbre dans la cour, la forme d’un nuage qu’on aperçoit par la fenêtre du métro. On a besoin de silence, on a besoin de notre « bulle » pour se relier à tout ça. Notre imagination a besoin de place, si on se gave de médias, il n’en reste plus pour notre créativité personnelle.

Cette créativité n’est pas une « activité » qu’on irait faire, comme notre entraînement de foot ou notre cours de poterie. L’élan créatif est un produit naturellement présent en nous… pour peu qu’on laisse notre système « composter » (comme un tas d’épluchures) l’input sensoriel et émotionnel d’une journée. Et ce compostage, il se fait dans le calme ! S’il y a sursollicitation, non seulement on se sent « frit », mais on n’embellit, on n’enrichit plus le quotidien par la saveur particulière de notre monde intérieur : il faut déconnecter.

Sous cette accélération sensorielle et émotionnelle, il y a des mécanismes d’addiction « douce » : on n’est pas automatiquement « en manque », mais on ne sait plus retrouver notre rythme propre, il est dicté par ce qu’on fait sur la toile.

Il n’y a pas de recette « type » pour revenir à soi. Il y a des grandes lignes, assez intuitives, que l’on décline en finesse en se reconnectant à soi-même et en ajustant le cap au quotidien :

  • Moins d’heures de connexion
  • Choisir ses interactions, couper les notifications qui nous « sonnent » à tout bout de champ
  • Se reconnecter à son corps le plus possible, de la façon qui vous convient : marcher, faire du sport, faire des plages de silence, cuisiner, faire une activité manuelle
  • Remettre du « temps long » et du « temps lent » dans notre quotidien, avec des projets à long terme où on n’a pas les résultats du premier coup : un jardin, un apprentissage, du tricot, de la musique, etc.
  • Se faire accompagner par un.e professionnel.le (eh oui !) La relation avec autrui, dans un temps que l’on prend pour soi et que l’on choisit est un énorme motivateur et facilite énormément le processus de désaccoutumance.

Vivez mieux, vivez lentement !