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Les sauts de la foi, c’est surcoté
Les sauts de la foi, c’est surcoté

Les sauts de la foi, c’est surcoté

Les sauts de la foi, c’est surcoté

Ces dernières années, deux énormes succès de la pop-culture ont mis à l’honneur le concept de saut de la foi.

Premièrement, le jeu vidéo Assassin’s Creed, où le héros saute du haut d’une tour (ou de n’importe quel bâtiment, falaise ou montagne) dans un tas ou une charrette de paille, et sort bien entendu indemne de ce saut (sinon, ça ferait sacrément désordre, n’est-ce pas ?) Et deuxièmement, le monumental film d’animation Spiderman into the Spiderverse, où le héros, conscient de ses pouvoirs, mais les ayant peu éprouvés, décide de sauter d’un building de New York, et découvre qu’il est parfaitement capable d’utiliser son fil d’araignée pour « voler » d’un immeuble à l’autre, avec un frisson d’ivresse par-dessus le marché.

Le « développement personnel » (on se rappelle que ce mot-valise un peu flou mais terriblement pratique est un running-gag ici) est extrêmement fan des sauts de la foi. Et vous recommande d’en faire un à chaque fois que quelque chose bloque dans votre vie. Si vous lisez des livres ou des articles en anglais, vous êtes probablement tombé.e sur au moins une occurrence de « feel the fear, and do it anyway », « do it afraid » ou quelque chose de cet acabit. Et aussi de l’inénarrable « sautez de la falaise, et vos ailes pousseront pendant la chute ».

À tout ça j’ai envie de répondre « ces cascades sont réalisées par des professionnels, ne tentez pas de les refaire chez vous ».

Je m’explique.

Bien entendu, on est quotidiennement obligé.e.s de faire un certain nombre de choses en ayant « peur ». En se sentant mal à l’aise, en partant perdant.e, en ayant les mains moites. Les personnes qui ont l’habitude de lancer des projets entrepreneuriaux ou humanitaires, les personnes qui participent à des compétitions sportives, ou tout simplement les parents dont le nouveau bébé arrive savent très bien que la peur ne disparait jamais. Ma bien-aimée coach, Geri, qui est anglaise, me dit régulièrement « new levels, new devils » (« nouveaux niveaux, nouveaux démons »). Je ne remets pas du tout ça en cause.

Mais le problème avec cette promotion à tout-va des sauts de la foi, c’est qu’elle est fournie pratiquement sans aucune explications, et même avec la promesse sous-jacente qu’il suffit de faire un saut de la foi pour atterrir sur ses pattes, ce qui est complètement faux ! (À moins que vous ne soyez le protagoniste d’Assassins Creed et que vous viviez dans un jeu vidéo qui est programmé pour ça, bien entendu).

En fait, pour commencer, normalement, vous ne devriez pas faire de véritables « sauts de la foi », parce que cette idée sous-entend qu’on se lance à l’aveuglette, qu’on fait un lancer de dés, qu’on s’en remet quasi-totalement au hasard, à la chance, à la foi.

Soyons honnêtes, personne ne fait ça : quand on se lance dans quelque chose qui comporte des risques, si on est un individu normalement constitué, on le fait pour des raisons. On le fait parce qu’on a calculé que ça pouvait marcher, ou que cela valait vraiment la peine d’essayer (en probabilités, on appelle ça « l’espérance mathématique »). Donc en fait… ce n’est pas un saut de la foi.

Si vous n’avez pas un bon ressenti à propos d’une certaine situation, si « ça ne sent pas bon », si votre intuition est absolument muette, ou qu’elle a activé les signaux d’alarmes, cela n’a aucun sens de se jeter dans le vide. C’est même prendre l’entièreté de votre système nerveux à rebrousse-poil et vous n’allez pas vous sentir aligné.e avec votre décision. Il sera donc extrêmement difficile de mobiliser des ressources pour mener à bien les actions que vous venez de vous proposer de faire.

C’est la recette pour se créer des traumas, ni plus ni moins.

De plus, si l’on a un niveau de peur très inconfortable et qu’on s’oblige à s’y confronter sans filet, sans pouvoir se retirer dès que les émotions et la fatigue neurologique de les gérer devient trop intense, on verrouille notre trauma de plus en plus, puisque on s’impose une violence, soit-disant « pour notre bien ».

Si vous avez été forcé.e par vos parents à manger quelque chose qui vous dégoûtait quand vous étiez petit.e, ou à faire une activité qui vous répugnait, et que cela a aggravé votre réticence, vous voyez ce que je veux dire.

On peut surmonter des traumas ou changer d’avis sur quelque chose qui nous faisait peur en s’y exposant. A condition de savoir créer, au sein de l’activité effrayante, les conditions d’une sécurité interne. Et à condition de savoir accueillir et évacuer sa peur (ce que j’appelle « faire le paratonnerre », comme j’expliquais dans cet article).

Se jeter dans le vide sans aucune sécurité, c’est de l’auto-maltraitance. Ce n’est pas « courageux », c’est débile, et ça méconnaît le fonctionnement de notre système. À moins que par chance, vous rencontriez des conditions excellentes et un succès (ce qui n’est jamais garanti), vous risquez de renforcer des traumas pré-existants.

Donc le saut de la foi absolu où on va combattre un dragon en caleçon, armé d’une branche d’arbre, c’est non. Ceux et celles qui disent que ça a marché pour eux sont vraisemblablement dans le cas de ce qu’on appelle le biais du survivant, c’est à dire que oui, pour eux, « ça a marché ». Mais soit parce qu’ils avaient préalablement établi les conditions intérieures de leur sécurité et qu’ils ne se sont pas rendus compte du rôle énorme que ça a joué dans leur succès, donc ils n’en parlent pas ; soit parce que « par chance » le succès a été au rendez-vous. Mais je rappelle qu’on ne contrôle pas nos résultats. Des fois, on ne gagne pas parce qu’on a été bon.ne, mais simplement parce que la concurrence était mauvaise, ou que les conditions ont été favorables, ce qui ne sera pas toujours le cas. Par exemple, si l’on se lance dans une activité de maraîchage, et que par malchance, une sécheresse arrive, on n’est pas dans les mêmes conditions que si l’année est pluvieuse.

De plus, quand on a un trauma lié à une croyance toxique, aller s’exposer à un milieu, ou à des personnes chez qui cette croyance pèse très fort, en espérant la « surmonter » risque de ne nous apporter que confirmation, donc d’aggraver notre blessure. Je vais prendre un exemple. Un mécanisme connu des relations abusives est que les personnes qui ont une faible estime d’elles-mêmes veulent confirmer leur valeur en s’attaquant à des « missions impossibles ». Par conséquent, sans s’en rendre compte, elles choisissent des compagnons ou compagnes indisponibles émotionnellement, jugeants, jamais contents, car ils ou elles représentent la « barre placée très haut ». Le compagnon ou la compagne ne se montre jamais valorisant.e ni supportif.ve, la relation devient toxique, et la personne ne pourra pas établir son estime d’elle-même.

Si on était dans Assassin’s Creed, ça reviendrait à faire un saut de la foi à côté de la charrette de foin. C’est se tirer une balle dans le pied.

La définition juste d’un saut de la foi devrait être une situation qui vous « appelle », que votre intuition valide comme étant bénéfique ou intéressante pour vous, et qui comporte des challenges correctement proportionnés vis à vis de qui vous êtes maintenant. Parce que c’est la personne que vous êtes maintenant qui va apprendre de nouvelles choses, fournir des efforts, gérer son stress. Donc si l’objectif est trop haut, le résultat est prédictible : ce sera l’échec, et vous allez vous le reprocher, alors que c’était l’objectif qui était inadapté. Pas vous.

Donc, oubliez les sauts de la foi. C’est surcoté, mal expliqué, et c’est sur-vendu par une culture adepte de la pensée magique qui prétend qu’on peut absolument tout avoir « pourvu qu’on travaille assez dur ». S’il suffisait de se faire mal pour se faire du bien, ça se saurait.